Husserl et Freud

Husserl et Freud

Abstract pour un projet de thèse
(Université de Paris-8 / 1990 / René Schérer)


La contemporanéité presque parfaite d’Edmund Husserl (1859-1938) et de Sigmund Freud (1856-1939), la proximité des lieux de leur naissance, – respectivement : Prossnitz et Freiberg dans la province alors austro-hongroise (et aujourd’hui tchèque) de Moravie (Mähren), – leur origine juive commune, de plus en plus lourde à porter au fil des événements politiques qui les auront tous deux profondément marqués, ou encore la fréquentation dans la Vienne de leur jeunesse des séminaires philosophiques de Franz Brentano (1838-1917), – ces coïncidences biographiques, pour remarquables qu’elles soient, n’autorisent pas à établir un lien entre leurs options théorétiques.
En effet, à vouloir « lire ensemble » Husserl et Freud, l’ignorance mutuelle, le silence entre ces deux auteurs, l’inexistence, à ce jour, d’une correspondance épistolaire, de traces d’une rencontre, d’une conversation privée, voire d’une connaissance de leurs œuvres respectives sur lesquelles on ne peut que spéculer, ne manqueront pas de surprendre le lecteur s’il veut bien considérer que leurs investigations, malgré l’évidente divergence des « approches », touchent à cette même sphère des « actes psychiques », ce qui, étant donné leurs « conclusions » radicalement différentes, aurait certainement mérité une disputation de leur vivant.

Le lecteur est donc contraint d’imaginer ce contexte sans doute polémique où la structure husserlienne des « vécus intentionnels » se mesurerait à la thèse freudienne d’une « pulsion inconsciente ». D’ailleurs l’embarras de l’un pour rendre compte de la « genèse » de l’intentionnalité dans la phase transcendantale de sa phénoménologie placée sous le signe d’une « structure permanente de l’aperception » (Husserl 1913-1938) n’est pas sans rappeler l’embarras de l’autre face au problème général de l’être conscient qu’il définit dans sa « Traumdeutung »  (1) comme un

 « organe sensoriel (Sinnesorgan) pour la perception (Wahrnehmung) de qualités psychiques », en réponse à cette question  : « Quel rôle reste-t-il dans notre exposé à l’être conscient (Bewusstsein), jadis tout puissant et recouvrant tout le reste (alles andere)  ? »

Le mot « embarras » (Verlegenheit) est prononcé dans ce même passage final de la « Traumdeutung », un paragraphe plus bas : Freud remarque que les « philosophes » qui auront vu qu’il était possible de faire l’économie de l'être conscient (Bewusstsein) pour appréhender certaines « formations de pensée (Gedankenbildungen) correctes et hautement complexes » auront ensuite « ressenti la difficulté de lui attribuer une fonction (Verrichtung) », et d’ajouter : 

« L’analogie de notre système conscient (Bw-System) avec les systèmes de perception nous tire de cet embarras. »

Sans doute, le neurologue Freud possède-t-il cet « alibi » de n’être pas philosophe : ainsi le terrain expérimental-clinique pouvait-il constituer la source d’inspiration et la référence constante de ses recherches, qui prennent leur essor avec la découverte d’une détermination psychique « inconsciente » dont l’effet majeur est qu’elle semble destituer l’être conscient de sa position « jadis toute puissante », qui le redeviendra cependant pour son contemporain, le mathématicien Husserl, même s’il n’en a pas toujours été ainsi.
Toutefois, en regard de l’inconscient, un autre problème se pose, dont la portée excède le simple « embarras philosophique », et que Freud formule comme ceci :

Comment pouvons-nous arriver à la connaissance de l’inconscient ? Nous ne le connaissons naturellement qu’en tant que conscient, après qu’il aura subi une transposition (Umsetzung) ou traduction (Übersetzung) en termes conscients (in Bewusstes). Le travail psychanalytique nous fait quotidiennement faire l’expérience qu’une telle traduction est possible. Cela exige que l’analysé (der Analysierte) dépasse (überwinde) certaines résistances (Widerstände), à savoir celles qui, à une époque (seinerzeit), en ont fait un refoulé (zu einem Verdrängten gemacht) par une répudiation du conscient (Abweisung vom Bewussten). » (2)

Rappelons brièvement que l’être conscient gagne sa position « dominante » en étroite liaison avec l’acte de connaître en général. Avec le pas réflexif accompli par Descartes (1637/41), la pensée découvre une « dimension intérieure » où elle se réfléchit elle-même comme « chose pensante » (res cogitans)  ; mais pour ce faire, il a fallu qu’elle se coupe du « corps », cette « chose étendue » (res extensa) qui appartient à l’ordre corruptible du monde extérieur. Le deuxième pas réflexif, effectué par Kant (1781/7) consiste à écarter d’une part l’« âme » dans son acception « transcendante » (divine, éternelle, incorruptible) et d’autre part l’« expérience » comme région empirique et « apostériorique » de ce qui se présentera alors comme un « champ réflexif transcendantal »  ; j'ai essayé de montrer (3) que ce champ pour être transcendantal, c’est-à-dire assumer la possibilité et légitimité de « toute notre connaissance » – une connaissance qui sera nécessairement dirigée sur l’expérience qu’elle doit pouvoir « anticiper » et « formaliser », – aura à dépasser la « scission intrinsèque » entre deux déterminations a priori « hétérogènes » : d’une part la « diversité phénoménale », ou l’ouverture du champ réflexif sur le monde tel qu’il se donne dans et par la « sensibilité », et de l’autre l’idéalité catégoriale, ou la fermeture du champ sur lui-même dans et par la conceptualité « spontanée » de l’« entendement »  ; cette tâche, l’opération de « synthèse » entre « intuition » et « intellect » incomberait à l’être conscient qui s’articule comme « aperception pure ». Or, au moment-même où l’être conscient en arrive à sa position dominante, son règne semble déjà compromis par le rôle énigmatique que semble jouer l’« imagination productive » (4) : « recouverte » par la structure de l’aperception pure, elle semble néanmoins autoriser le schématisme ou la synthèse ‘intuition/intellect’ de façon bien plus « originaire ».
Si Kant nous dit déjà que l’imagination « habite dans les profondeurs de l’âme » et que « nous n’en sommes conscients qu’à de rares moments », Husserl semble encore lui répondre dans ses « Recherches Logiques » (5), parues la même année que la « Traumdeutung » : 

« ...des processus hypothétiques, cachés dans les profondeurs inconscientes de l’âme ou dans la sphère des événements physiologiques (des physiologischen Geschehens) ne concernent pas la critique de la connaissance (den Erkenntniskritiker). »

Le point de vue « immanentiste-descriptif », tel qu’il s’exprime dans les « Recherches », s’entend en effet comme une « critique » et bien sûr comme une théorie originale « de la connaissance » (tout à fait au sens de la « Critique de la Raison Pure » de Kant), dirigée par Husserl contre l’empirisme « naturaliste » et notamment la psychologie expérimentale, sans encore faire de l’être conscient un thème central et encore moins un principe de base, qu’il ne deviendra qu’au début des années 1910 (6).

Ainsi, notre lecture pourrait dégager un moment où Husserl et Freud se rencontrent dans les deux sens du mot, car dans leurs premières grandes publications qui inaugurent le 20e Siècle, ils ressentent tous deux que la position centrale de l’être conscient n’est plus tenable, et ce même si leurs « attitudes scientifiques » semblent en opposition parfaite.
Ce que Husserl nomme le « vécu intentionnel » (intentionales Erlebnis) et qui lui permet dans un premier temps (1900-1910) de faire « l’économie de la philosophie du sujet » s’apparente à l’acte de connaître en général : l’intentionnalité lui permet de décrire et de déterminer « notre connaissance » d’une façon satisfaisante sans le recours, répétons-le, à une position centrale de la conscience ; d’où il suit, dans sa logique, que ce qui n’est pas intentionnel, comme l’est par exemple un « acte manqué » au sens de Freud, ne « concerne pas » l’acte de connaître et plus généralement la « théorie de la connaissance » telle qu’elle s’élabore ici encore sous le titre de « description phénoménologique » (Husserl 1900).
Pourtant c’est un fait que toute « critique » de la connaissance renvoie nécessairement à cet événement de l’histoire des idées marqué à la fois par l’auto-réflexion de la pensée et l’exigence d’objectivation, puis l’investissement « scientifique » du « monde » : la position centrale de l’être conscient (pensant). Or, si le monde « phénoménal » est traversé par une impermanence radicale, dans le jeu de l’apparaître et du disparaître, l’exigence de la connaissance lui impose au contraire une permanence idéale, en tout cas une « sub-sistance », un « être » dont nous retrouvons la trace au sein de ce que nous avons appelé le « champ réflexif transcendantal » : l’être conscient y apparaît comme un résultat et, dans le même temps, comme une « structure » apriorique, nécessaire et synthétique et non comme une donnée « primitive », simple et « naturelle ».
Les étapes de constitution phénoménologique ont le mérite de faire voir les moments structurels qui mènent de l’« intention de connaître » à la sphère du « moi pur », en imposant progressivement à ce qui se présente d’abord comme « diversité phénoménale » un système permanent et « rigide » d’aperception et une sphère « eidétique » comme objectivation pure d’un monde préalablement « anéanti » dans et par les étapes de la « réduction phénoménologique ».
Le travail de Freud sur l’esprit, en s’inscrivant lui aussi dans ce processus (éminemment historique) d’auto-réflexion de la pensée, fait apparaître un « contre-point » radicalement empiriciste, une « praxis » à vocation thérapeutique pour le moins contradictoire avec « l’attitude phénoménologique » prescrite par Husserl.
Cependant, nous avons vu que la psychanalyse, comme la phénoménologie descriptive, part en principe d’une remise en question de la position centrale de l’être conscient. Bien entendu, cela ne s’exprimera pas, chez Husserl, dans les mêmes termes que chez Freud, mais il faut bien admettre que pour l’auteur des « Recherches » la « perception » n’est encore qu’un cas spécial et remarquable de vécu intentionnel, et non pas l’inverse.

Comme l’a voulu Husserl pour sa « nouvelle phénoménologie », la psychanalyse naissante se présente elle aussi comme une « science nouvelle », d’abord inductive, attachée à l’observation, notamment des « pathologies », mais aussi interprétative, telle une « herméneutique » des « contenus inconscients », repérables en premier par la « méthode cathartique » – développée par un autre médecin viennois, Josef Breuer (7), qui utilise l’hypnose dans la cure de l’hystérie, puis, cette méthode étant pour différentes raisons abandonnée par son collègue Freud –, dans les « matériaux » apportées par les rêves et la libre association dans le cadre de la cure psychanalytique conçue par Freud, où le patient doit, dans la mesure du possible, se laisser aller à ce qui lui « vient à l’esprit » sans soumettre ces productions spontanées de l’esprit, ces « idées » (« Einfälle »), à une critique « consciente », comme celle qui lui suggérerait par exemple qu’il s’agit d’une « idée idiote », d’un « détail sans importance » etc., sans donc vouloir insérer ces « Einfälle » dans un ordre logique ou les rejeter parce qu’elles seraient absurdes ou bizarres. Cette « praxis » de la cure confronte alors l’analyste à certains mécanismes psychiques, tels que le « refoulement » ou la « répression », la « résistance », le « transfert » ou la « répétition », comme à diverses formations obsessionnelles, délirantes, « névrotiques » ou « psychotiques ».
Ainsi, quand Husserl proclame l’impératif de l’« attitude phénoménologique » pour accéder au royaume de l’« idéation », Freud développe parallèlement une « attitude psychanalytique », partagée par l’« analysant«  et l’« analysé », pour accéder au royaume de l’« inconscient ».
Au centre de la théorie freudienne se trouve sans aucun doute le « phénomène » de la « pulsion » (Trieb) qui confère à la thèse d’une détermination inconsciente non plus un caractère « négatif » et purement formel, mais une « position » quasi « impérative », ou « impérieuse », en tout cas pour un esprit « incarné ».
Si la notion d’inconscient peut légitimement faire l’objet de critiques logiques ou phénoménologiques tant pour son origine empirique ou physiologique que pour la « négativité » qu’elle fait supporter à une pensée difficile à concevoir autrement que par une série d’« actes conscients », les « phénomènes pulsionnels » indiquent néanmoins une région psychique qui, en échappant évidemment en bonne partie à la sphère consciente, devrait cependant jouer un rôle non négligeable dans l’objectivation du monde en général, dans la « constitutions d’objets » en particulier, et en tout cas dans certains modes d’investissement singuliers qui seraient sans conteste descriptibles en termes de « vécus intentionnels ».
À partir du champ inductif (intuitif) et expérimental-clinique qui est le sien, la psychanalyse aura mis en évidence – et depuis lors soumis à l’auto-réflexion de la pensée – que l’actualité consciente se trouve toujours « flanquée » d’un « sub-iectum » au sens propre, c’est-à-dire primairement « passif », ne cessant, cependant, de « pousser » vers l’objectivation de ce qui, d’abord, se constitue dans un apparaître et un disparaître successifs et récurrents (ou non), dans et par l’« absence », l’« ob-iectum » étant alors « en souffrance », se faisant « désirer », confrontant le sujet à un « manque » et par sa « présence temporaire » à cette satisfaction ou plénitude éphémères à chaque fois étroitement liées à une possible déception : il se peut que nous soyons ici face à un générateur, certes physiologique, de la « visée intentionnelle », qui donnerait en tout cas sa pleine concrétion au « vécu intentionnel » de remplissement (satisfaction) ou de déception (« Enttäuschung ») ; cependant, et Freud est le premier à l’admettre : nous ne savons pas ce qu’est la pulsion « en soi », nous ne la connaissons qu’au travers de ses « objectivations désirantes » (« Wünsche ») ; et c’est, notons-le au passage, exactement ce que le philosophe Kant dit des noumènes et des phénomènes : nous ne savons pas ce que sont les « choses en soi » (noumena), nous ne les connaissons que parce qu’ils nous « apparaissent » (phainomena).

La problématisation « génétique » de la phénoménologie husserlienne dans son expression transcendantale (8) aura fait apparaître ce que l’on peut aisément qualifier d’« excès » de l’être conscient, qui s’enracine dans une stratification fondamentale de l’esprit humain, soumis à chaque fois singulièrement à un « venir au monde », à un apprendre à « (perce)voir », où Husserl reconnaît l’exercice d’une « synthèse passive » ; qu’ensuite une structure d’aperception « permanente » vienne recouvrir cet exercice n’empêche pas deux choses : d’une part cette structure permanente ne l’est qu’idéalement ou en puissance, puisque cet être qui doit « venir au monde » est également destiné à mourir (à « disparaître ») ; d’autre part, l’acte d’aperception n’empêche nullement l’exercice d’autres actes comme celui d’imaginer, loin de toujours se soumettre à la « dictée » de la perception.
Or, dans un certain sens, cet « excès » de la conscience ne vise rien d’autre que l’expérience même d’exister où ce n’est pas tant le sujet qui « fait » l’expérience – comme le veut l’approche transcendantaliste ou tout simplement « scientifique » –, mais « d’abord » l’expérience qui « fait » le sujet ; il s’agirait alors de montrer que l’expérience au sens existentiel du terme s’inscrit dans un temps ontogénétique qui n’est pas itérable à l’infini, contrairement à ce que certaines « séries expérimentales » des sciences appliquées pourraient laisser croire, même si on commence, là aussi, de prendre en considération le côté irréversible des phénomènes.

Nous avons affirmé plus haut, et les textes nous y ont engagé, que le « sujet actif », qui s’actualise à travers l’acte de connaître, a pris, dans l’histoire des idées, le masque d’une suprastructure qui, pour incontournable qu’elle soit à l’heure actuelle, recouvre toujours des « états antérieurs » marqués par un certain caractère irréversible de l’expérience « matérielle » dans le temps, dont le sujet produit également une forme de synthèse (« passive ») et qui imprègne une infrastructure dont le pendant neurobiologique est sans aucun doute à chercher du côté des « plasticités neuronales ».
Ces « états antérieurs » – et Freud le constate pour ainsi dire à chaque page – peuvent « ressurgir » comme « pathologies » ou « symptômes » dans l’actualité consciente, le « pathos » qui vient alors à s’exprimer sous une forme plus ou moins virulente étant comparable à ce qui chez Descartes s’appelle encore les « passions de l’âme » et contre lesquelles, à en croire nombre de textes des 17e et 18e Siècles, il serait souhaitable que la « Raison » « s’élève ».
Mais on sera également tenté de reconsidérer le statut de la « Raison » à la lumière de l’intersubjectivité : toute raison ne s’apparente-t-elle pas toujours aussi à un « consensus », à l’image d’une fonction régulatrice et « discriminatoire » qui préside au « commerce » entre « sujets raisonnables » ? Et : ne devons-nous pas toujours apprendre à être « raisonnables » en même temps que nous apprenons à « percevoir » ? ou en termes plus psychanalytiques : à dissimuler ou à différer, voire à déplacer ou à compromettre et à « risquer » nos passions et nos désirs ?
Le travail de Husserl aura mis en évidence une affinité essentielle entre les sphères « phénoménale » et « fantasmatique » (« imaginaire »), autorisée par la mise hors champ d’une « réalité transcendante » en vue d’une problématisation « nouvelle » de la « représentation » (« Vorstellung »), amorcée par Franz Brentano (9), et sans doute inspirée à l’origine par Kant. Mais ce qui est curieux, c’est que le travail de Freud en arrive à des résultats comparables tout en maintenant la position de principe de la réalité.
Or, si la réalité est hors champ, quel est le principe qui décide, « finalement », de la vie et de la mort, qui apprésente en tout cas des urgences et des résurgences, ou encore des présences et des absences, des « présents » et des « re-présentations », des apparences et des disparités ?
Qu’un principe de discrimination nous soit indispensable, cela prouve en tout cas que les « phénomènes » et les « phantasmes » peuvent coexister sous une « apparence » similaire et dans un « même » esprit, de telle sorte qu’il faudra parfois un « autre » pour les départager.
Mais quel est cet « autre » qui, sans doute, n’a pas besoin de faire l’objet constant de la vigilance et des vérifications d’une conscience aperceptivement orientée sur une « réalité extérieure », puisque l’acte discriminatoire s’effectue avant tout et par principe à l’intérieur ou dans l’immanence de l’esprit ?
Pour suppléer à son « principe de réalité », Freud conçoit également une « suprastructure » sur le mode sans doute « répressif » d’un « sur-moi », que l’on peut interpréter dans un premier temps comme une « réédition » de l’ancienne « conscience morale » (« Gewissen »), sc. : ce moment où la conscience seule se trouve marquée par l’empreinte d’« autrui » ou de son « espèce » (phylos) ; mais le qualificatif de « moral » ou même le simple « impératif catégorique » de Kant peuvent ici porter à confusion ; sans doute, le concept phénoménologique d’intersubjectivité rend-il mieux compte de ce moment, tant pour son influence sans doute déterminante sur l’ontogenèse, que pour son « actualité » quasi-permanente, au même titre que l’être conscient défini par l’aperception ou encore les pulsions objectivées à travers les « représentations de désirs » (Wunschvorstellungen) possèdent une quasi-permanence dans la vie intentionnelle du sujet.
Que Freud affirme que le « sur-moi » (Über-Ich) et l’univers pulsionnel qu’il désigne avec le concept forgé par Groddeck (1923) du « ça » (Es) soient en majeure partie « inconscients », cela n’empêche d’aucune façon que l’on peut phénoménologiquement définir une sphère de la conscience intersubjective et des modes particuliers de « vécus intentionnels » qui se rapportent à la région freudienne de « sur-moi » ; on peut également montrer une consubstantialité entre l’intention et le désir, puisque ce dernier peut emprunter une stratégie quasi-intentionnelle et que cette première, dans ses différentes applications, comporte toujours une portion « libidinale », ou mieux : un quantum d’énergie qui lui confère une certaine force dans sa visée d’accomplissement ou, comme il faudrait dire ici : de « réalisation », mais aussi de « dé-réalisation » dans le cas d’une déception (« Enttäuschung ») où il s’agit pour le sujet de se « dé-tromper » (« ent-täuschen ») sur la matérialité d’un remplissement d’intention ou d’une « satisfaction » dont il doit reconnaître dans certains cas le caractère feint, fictif, simplement imaginé, souhaité, ou encore « illusoire ». 

[...] 
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NOTES 


(1)  Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves (Die Traumdeutung, 1900), VII - "Welche Rolle verbleibt in unserer Darstellung dem einst allmächtigen, alles andere verdeckenden Bewußtsein? Keine andere als die eines Sinnesorgans zur Wahrnehmung psychischer Qualitäten."
(2) Sigmund Freud, L'inconscient (Das Unbewusste, in Zur Technik der Psychoanalyse und zur Metapsychologie, 1924)
(4) cf. en particulier dans le chapitre sur le schématisme, in : « Critique de la Raison Pure », trad. française Barni/Archambault, éd. Flammarion, GF (éd. de poche) n°257, p.188/9 – « Kritik der reinen Vernunft », ed. originale (A) 1781, 2e édition (B) 1787,  A 141 – B 180  --- cf. aussi l'analyse de M. Heidegger, in  Kant und das Problem der Metaphysik (1929)
(5) Edmund Husserl: Recherches Logiques (Logische Untersuchungen, 1900/1913)
(6) notamment dans le premier livre des Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen Philosophie (1913)
(7) Breuer / Freud: Études sur l'hystérie (Studien über Hysterie, 1895)
(8) cf. p. ex. Méditations Cartésiennes, Sorbonne 1929, trad. fr. Levinas/Pfeiffer 1931
(9) en particulier Franz Brentano: Psychologie du point de vue empirique (Psychologie vom empirischen Standpunkte,  1874/1911)



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