jeudi 16 juillet 2015

Dans un calepin (2015)

L'intérêt de textes comme les nôtres serait de conserver un peu d'attrait dans le futur. Je m'explique. Certains écrits – par exemple les traductions d’œuvres littéraires, comme celles de Faulkner, Kafka et d'autres faites dans les années 1930 par des traducteurs de renom – perdent de leur pertinence au fil du temps. Les versions françaises commencent à dater alors que l'anglais américain d'un Faulkner ou l'allemand autrichien d'un Kafka restent étrangement actuels, « absolument modernes » comme dirait Rimbaud. Il n'en va pas autrement, je suppose, pour un grand nombre de productions journalistiques qui, une fois les projecteurs de l'actualité éteints, n'ont plus grand intérêt, sinon historique via la fameuse « autorité de la chose publiée ». En tout cas, ils ajoutent un sacré volume d'informations – et de désinformation, d'entropie - au World Wide Web.

C'est pourquoi il faudra sans doute un jour revenir à la plume et au calepin, certains ne s'en sont d'ailleurs jamais vraiment départis, et il doit bien y en avoir au moins un qui, en ce moment, essaye de taper son roman sur une vieille Underwood et un rouleau de papier, comme Kerouac.

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L'intérêt premier de textes comme les nôtres, c'est de faire part d'observations, non pas de ces événements spectaculaires des grands reporters, mais de ce que subjectivement nous annotons à cette gigantesque entreprise humaine appelée réalité : notre propre réel en somme. Celui que nous devons d'abord traduire, objectiver dans le langage, avant de pouvoir y faire valoir une perspective un tant soit peu originale.

Comprendre l'anecdotique de la plupart de nos textes : ils sont immergés dans un  raz-de-marée d'informations disponibles mais jamais consultables dans leur globalité, bien qu'ils s'inscrivent, peu ou prou, dans le champ de la communication globalisée. - N'en déplaise à Gogol : même un algorithme performant n'est ici d'aucun secours. - Promises à un destin incertain, nos traces flotteront alors dans l'éther cybernétique comme autant d'infimes signes, de témoignages anthropologiques pour une impossible étude globale de notre espèce : la tâche serait proprement sur-humaine ! Ou peut-être post-humaine ?

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Je dis qu'il faudra sans doute réapprendre un jour à écrire à la main pour se défaire de cette toile même si - ou justement parce que - nous ne savons pas exactement où l'araignée va se nicher. Peut-être y en a-t-il des millions et des millions, et sans doute faut-il avoir une nature arachnidéenne pour s'aventurer avec insouciance sur la Toile. Certaines de ces bêtes étranges ont un appétit colossal. Elles gobent un nombre incroyable de mouches par jour.

Plus sérieusement : un jour, nous devrons certainement réapprendre à vivre sans cet univers virtuel que nous nous sommes créé et qui est si puissant aujourd'hui. Je suppose qu'il faudra alors se risquer encore une fois à écrire sérieusement pour conserver ce miroir de la parole, notre seconde nature. Car, après la culture de l'image et du symbole des préhistoriques, l'écriture est l'une des inventions fondatrices de la civilisation moderne.

Toutefois, il ne fait aucun doute que la mise en œuvre d'Internet – dont nous sommes les témoins - est également de cet ordre paradigmatique, telle une nouvelle étape décisive de l'histoire humaine. Car il est entendu que l'Homme – cet Homme hyper-moderne qui nage dans l'univers virtuel comme un requin dans l'océan – n'en restera pas là. L'Homme est un « réalisateur » : il veut voir les choses « en vrai ». Ce qui me fait immanquablement penser à Baudelaire (« la vie en beau »).

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Une tendance - par la digitalisation / numérisation constante - à la suppression du monde matériel - matière et corps - au profit d'un monde électronique - mundus non extensus - quasi psychique : l'esprit mondial - le Weltgeist - de l'homme technologique. - Cette idée du Weltgeist via Internet est à creuser: l'humanité vraiment devenue sujet absolu, mais de manière bien différente de ce que pouvaient imaginer les idéalistes (Hegel). En fait, il s'agit d'un savoir par accumulation (prodigieuse) d'informations et d'une sorte d'intersubjectivité planétaire, dans le cadre formel - quasi transcendantal - d'un mundus non extensus, issu de cette redoutable "mondialisation" numérique où toute information non digitale s'exclut implicitement du champ global d'aperception .

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Peut-on faire des découvertes par simple réflexion ? - Cela impliquerait que l'on découvre des vérités que d'autres n'ont pas pensées auparavant. Ou bien que ces vérités n'étaient pas à la portée de ceux qui nous ont précédé. - Mais les découvertes ne se font-elles pas au contraire par immersion dans le mode matériel, physique ? - La réflexion n'est-elle pas toujours à la traîne ? N'est-ce pas la malédiction du cogito ?

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Lorsqu'on attend - s'attend à - quelque chose et que cette attente est finalement déçue, il arrive que l'on interprète plus ou moins fugacement, inconsciemment, cette déception comme une confirmation - une satisfaction - de l'attente. Dans les cas graves, cela peut prendre la forme du délire d'interprétation. - Conclusion : moins nous cherchons à interpréter ce qui vient contredire nos attentes, plus nous nous ouvrons au réel, à l'imprévu !


Juillet 2015

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