samedi 1 mai 2010

Des Machines et des Hommes (2010)

On le redoutait depuis un certain temps. Mais cela promet d’être un peu différent de ce qui a été décrit par Orwell ou Huxley. Toujours est-il que les machines menacent à présent d’influer de façon significative et durable sur le comportement humain. Un exemple qui illustre ce fait : Tout traducteur est persuadé qu’aucune machine ne pourra jamais le remplacer. Or ce n’est pas tout à fait exact. Bien sûr, aucune machine ne pourra jamais traduire Baudelaire, Kleist ou Shakespeare dans une autre langue sans produire par endroits un charabia d’un comique sans nom. Mais admettons qu’il s’agisse de produire un texte destiné d’entrée de jeu à être traduit dans n’importe quelle autre langue. Lors de la rédaction, l’auteur sera en contact avec une machine qui interviendra à chaque difficulté ou ambivalence. Prenons par exemple le mot français “lever”, que la machine doit traduire. Admettons qu’elle ait emmagasiné les équivalents suivants : “élever“, “soulever“, “rehausser“, “ôter“, “mettre sur pied“ etc. La machine demandera alors de choisir et rédacteur sera contraint d’éliminer par ce choix tout double sens de son texte. Ainsi, la machine gagne de l’influence sur la mise en œuvre du texte et par voie de conséquence sur le comportement ultérieur du rédacteur. L’important dans ce cas, c’est l’impératif de communicabilité dans le cadre d’un monde globalisé où quelque chose comme une machine à traduire paraît essentielle. Et ce qu’on élimine avec les ambivalences, les sens multiples d’un texte, ce sont les différences culturelles, les particularismes. De même, les rédacteurs ne pourront plus utiliser certains mots intraduisibles : leurs textes deviendront plats, univoques. Le moteur de recherche Google permet de rendre compte de l’état actuel [2010] des machines à traduire puisqu'il propose la traduction automatique de certaines pages en langue étrangère. Une petite expérience montre le chemin qui reste à parcourir pour atteindre une perfection improbable. Il y a quelques années, j’ai traduit le dernier essai du regretté penseur Dietmar Kamper (2001). Voici la version française du paragraphe final :


“Dans l’intervalle, on va chercher conseil à Hollywood. Il semble que l’imagination ardue des cinéastes, surtout dans le registre des films à catastrophes, est plus précise que les archives des services de renseignements et les informations de la presse. Durant toute cette période de réflexion et de commentaire, on a déjà essayé de repérer dans l’imagination humaine un précepte subtil en lieu et place d’une représentation de la réalité. Certains sont parvenus à une virtuosité dans les métaphores et les chiasmes, qui suggèrent de leur côté la conclusion improbable que la pensée humaine puisse se rendre maître des mots et des images, tout en acceptant le délire de départ. C’est ce que Friedrich Kittler a récemment montré dans une chevauchée forcenée à travers l’histoire mondiale. En épilogue à Nietzsche et Foucault, on peut y lire: “Le vieil effroi nous glace. Sur sa fière monture, Ben Laden se montre aux caméras de la presse. Debout dans des jeeps, les jeunes émirs d’Arabie auraient atterri voici peu d’années au Nord du Pakistan, où les écoles coraniques fleurissent, pour transposer sous les tentes, avec les contes et les nuages de poussière leur art médiéval de chasse aux oiseaux dans une actualité de haute technologie : les jeeps ont succédé aux chevaux, les charters aux chameaux; seul le faucon domestiqué et sa cible, un oiseau de proie nomade qui tourne dans le ciel de la steppe, restent vaillants jusque dans la mort. Nous oublions que les Croisés et les Sarrasins montaient les mêmes chevaux, avant que le vieux de la montagne ne lâche ses Assassins – haschischins et meurtriers en même temps – sur les deux à la fois.” (Frankfurter Allgemeine Zeitung du 5/10/2001: "Ceux pour qui le désert croît. Le nouveau terrorisme et ses nomades"). La couleur de la scène: lapis-lazuli. “

Cette version n’est certainement pas parfaite. Or la traduction automatique du texte allemand proposée par Google donne ceci :

“Au lieu de cela, on cherche à Hollywood Conseil. Il semble que les imaginations ausgekochten des réalisateurs, en particulier en direction de la catastrophe de films, précise que les archives des services de renseignements et les données de la presse. Pendant toute cette période, des réflexions et des commentaires, on a tenté, dans l’imagination humaine, une disposition subtile de l’image au lieu d’une fois à la réalité planétaire. Certains d’entre eux ont à la virtuosité des métaphores et Chia mis de Mata, qui viennent à leur tour venait à conclure, à la pensée humaine, le Seigneur et maître des mots et des images, avec le délire dans l’achat initial est pris. Friedrich Kittler, le Parforce dans une chevauchée de l’histoire à travers le monde récemment dans le pays. À la suite de Nietzsche et de Foucault est là, il est écrit: «Le vieil horreur se cache dans nos os. Ross se produit à haute bin Ladin devant les caméras de la presse. Maintient en jeep seront encore il ya quelques années, l’Arabie jeunes dans le nord du Pakistan émirs de son, là où aujourd’hui Les écoles coraniques fleurissent, sous des tentes, des contes et des nuages de poussière hochmittelalterliche leur art de chasser avec des oiseaux, dans le dernier cri de traduire Aujourd’hui: Jeeps ont remplacé les chevaux, les chameaux avions charters; gezähmte seulement le faucon et son objectif, un rapace nomades des steppes, le ciel, Todesmutig restent comme ils étaient. Nous oublions volontiers, et souvent, que les Croisés et les Sarrasins, les mêmes chevaux montés, avant que le Vieux de la montagne de ses assassins – mangeur de haschisch et de tueurs en même temps – précipité à tous les deux. ” (FAZ du 5.10.2001: «Ceux qui se développe le désert. Le nouveau terrorisme et ses nomades»). La couleur de la scène: Lapis.” 


Sans doute les machines de traduction n’en sont-elles qu’à leurs débuts. Et l’enjeu est trop important pour que l’on ne travaille pas à leur perfectionnement. Mais ne s’agit-il pas aussi de surmonter l’ancienne et légendaire malédiction rapportée par l’épisode biblique de la Tour de Babel ? Nous nous situons alors à un niveau symbolique qui semble pourtant rendre compte de notre situation présente : le monde globalisé, avec ses multiples langues en interaction constante, ne ressemble-t-il pas à l’antique cité de Babylone ? – La différence entre les langues humaines a trait à l’intraduisibilité ou l’incommensurabilité de symboles renvoyant à quelque chose de singulier, non généralisable, telle que la vision du monde véhiculée par une culture déterminée, qui trouve par exemple à s’exprimer dans ses tournures intraduisibles, double sens, métaphores ou dictons. Car la langue est d’abord un phénomène collectif qui reflète toujours aussi le mode de pensée (et d’association) d’une ethnie ou d’un peuple. Or nous assistons aujourd’hui à une sorte de nivellement des cultures et des différences, sans doute produit par notre enchaînement croissant aux technologies actuelles et à la civilisation qui en est issue. Les machines de traduction ne sont ici qu’un symptôme parmi d’autres pour la disparition de l’Homme lui-même comme porteur de singularités, de qualités, de différences. En petit supplément, voici encore le début du texte que vous venez de lire, traduit à partir de la version allemande par la machine de Google. Le début passe encore, mais à la fin le traducteur déraille complètement:

On craignait depuis un certain temps déjà. Mais il promet cependant d’être quelque peu différente, comme le décrivent Huxley ou Orwell. En tout cas, les machines menacent maintenant le comportement humain selon les besoins et à influencer de manière permanente. Un exemple pour illustrer le: Chaque traducteur est convaincu que la machine ne peut remplacer le par. Ce n’est pas tout à fait. Bien sûr, ne sera jamais une machine de Shakespeare, Baudelaire ou Kleist dans une autre langue, par endroits, sans jargon de l’ineffable un comique de produire. Mais, nous supposerons que le texte doit être produit, en avance des dispositions pour, d’une machine dans n’importe quelle autre langue pour être traduit. Alors que le procès-verbal est l’auteur avec un moteur en relation, ce qui est de la confusion ou de difficulté de chaque annonce. Prenons par exemple le mot “prendre” [*], que la machine doit traduire. Par exemple, elle a enregistré les synonymes suivants: glaner, conserver, éliminer, supprimer, etc.

SK, 2010

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[*] Je précise que dans la version allemande le mot utilisé est "aufheben" qui a deux significations en apparence inconciliables : abolir ("lever") et conserver. - Pour les spécialistes, la substantivation de ce verbe est l’œuvre du philosophe Hegel (1807/12) avec son fameux concept de la Aufhebung qui pointe ce même double sens, développé sur un autre plan par Freud (1915) pour sa description psychanalytique du "refoulement" (Verdrängung) et le célèbre "retour du refoulé"(Wiederkehr des Verdrängten). - Les deux pensées pourraient se rejoindre autour de la notion de "sublimation". - Mais qu'est-ce que je vais raconter ça à une machine !

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Ajout (12/2019)

On peut mesurer les progrès effectués en comparant le même texte traduit presque dix ans plus tard par un nouveau programme de traduction basé sur linguee (deepl.com):

C'est ce que l'on craint depuis un certain temps. Mais cela promet d'être différent de ce que disent Orwell ou Huxley. En tout cas, les machines menacent maintenant d'influencer ou de modifier le comportement humain de manière décisive et permanente. Un exemple pour illustrer cela : Chaque traducteur est convaincu qu'aucune machine ne pourra jamais le remplacer. Ce n'est pas tout à fait vrai. Bien sûr, aucune machine ne traduira jamais Shakespeare, Baudelaire ou Kleist dans une autre langue sans produire du charabia de comédie indicible par endroits. Mais supposons que l'on produise un texte destiné à être traduit par une machine dans une autre langue. Pendant le processus de montage, le rédacteur sera en contact avec une machine qui interviendra dans toute ambiguïté ou difficulté. Prenons par exemple le mot allemand "aufheben", que la machine est censée traduire. Supposons qu'il ait enregistré les équivalents suivants : ramasser, enregistrer, éliminer, supprimer. Alors la machine demandera : " Voulez-vous dire ramasser, stocker, éliminer ou abolir " ?

Voici le lien sur la version allemande de ce texte: Der Maschinenmensch (2007). Le début du texte est donc identique, mais la suite, rédigée trois ans plus tôt, est différente de la présente version française.


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