vendredi 28 août 2015

Réminiscences scolaires

Il m'arrive de repenser aux sujets de philo que nous donnait M. D*** : « L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris » (G. Bachelard). – « Le fou a tout perdu sauf la raison » (G. K. Chesterton).

La seconde affirmation est particulièrement intéressante, d'autant qu'elle ne provient pas d'un «philosophe professionnel», mais plutôt d'un fin psychologue, qualité indispensable d'un bon auteur de polars (Father Brown). – Se pose la question de la rationalisation : certains délires étonnent par leur logique implacable, qui cependant – point crucial – n'est plus redevable d'une perception correcte du réel. Et pourtant – c'est le paradoxe – le délire intègre des fragments de réalité, qui sont à présent interprétés dans un sens « auto-centré » : le monde tourne autour du moi délirant car celui-ci ne supporte apparemment pas d'être en marge des événements, ce qui constitue pourtant la ration quotidienne du « moi ordinaire ». Or cette « dépolarisation » du monde autour de la position centrale du sujet semble étrangement compatible avec ce que l'on a coutume d'appeler la « raison ». D'ailleurs, le système du sujet absolu des idéalistes, entièrement bâti sur des fondements rationnels, nous invite à cette « perspective centrale » où le « monde entier » est subordonné à la conception apriorique d'un « sujet transcendantal » : ainsi, le Cogito cartésien comme fondement de la pensée moderne a en effet tout perdu (exclu, mis entre parenthèses) sauf la raison


Fort heureusement, Kant aura remis les choses d'aplomb en critiquant la vanité – le délire de toute-puissance – d'une Raison Pure affranchie des contraintes du réel, de l'empirie : en conséquence, les scientifiques modernes exigeront invariablement la sanction de l'expérience pour valider une théorie quelconque, même si en secret beaucoup d'entre eux restent des passionnés de métaphysique, ce qui parfois donne lieu à des jugements d'une naïveté ou d'une audace surprenantes lorsqu'ils essayent d'expliquer le monde une fois pour toutes. L'historique de ces explications scientifiques du monde – avec une mention spéciale pour les rédacteurs de nos vieux manuels scolaires – montrerait qu'ils n'avaient souvent rien compris, tels des prisonniers inconscients de l'absolutisme métaphysique, persistant à ignorer que toute explication du monde n'a qu'une validité limitée, culturelle, historique.


Quant à Gaston Bachelard, il a expliqué ce qui caractérise essentiellement l'histoire, l'évolution des idées scientifiques : « En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation. » (Gaston Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique, Vrin, Paris 1970, p.14)


M. D*** me pardonnerait sûrement d'avoir ici mélangé ses deux sujets : c'est sans doute le résultat d'une trop longue gestation mais aussi d'un éloignement – consenti et même recherché – du milieu de la philosophie scolaire.

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