mardi 29 décembre 2015

Miettes théologico-philosophiques

 I



Si la Bible recommande de ne point tuer, cela montre que les rédacteurs connaissaient parfaitement l'instinct meurtrier de notre espèce : en effet, si nous n'avions pas tendance à massacrer nos semblables, quel serait le sens d'un tel commandement ?

Or, force est de constater que cet interdit - le tabou civilisationnel du meurtre - n'a eu aucune espèce d'effet sur le comportement de notre engeance au cours de ces trois derniers millénaires. On serait même tenté de dire que l'interdit pousse à la transgression.


II


Les religions - et les divinités uniques, duelles, multiples - ont toujours été des instruments de domination sociale, économique, politique. Si elles ont également une autre dimension - comme la recherche spirituelle, la quête de la pureté, l'abandon de l'existence mondaine - celle-ci est absolument compatible avec la destination première de l'idéologie religieuse puisque l'ordre terrestre n'est jamais remis en question.

Comme les philosophes, les théologiens sont des champions de la rhétorique : ils vous démontrent à tous les coups que vous êtes dans l'erreur. Et ce sont des puits de science dont les cibles de prédilection sont les gens réputés "incultes" ou savamment maintenus dans cet état. Comme ces "primitifs" qui échangeaient leurs trésors contre de la pacotille et de l'alcool frelaté. En effet, leurs auto-proclamés "civilisateurs" avaient rapidement intégré le fonctionnement du potlatch.

mercredi 16 décembre 2015

La peste à Marseille

Je découvre avec intérêt des documents d'époque sur la peste de 1720 à Marseille, dont un compte-rendu publié dès 1723 (à Cologne) : il semble que l’auteur – non mentionné sur la couverture - est le médecin Jean-Baptiste Bertrand, mais celui-ci prétend dans la préface n’être que « peu versé » dans la médecine et renvoie aux observations médicales d’un « docteur Bernard » à la fin de son exposé qui combleraient ces lacunes. Sur la couverture de l’exemplaire numérisé – provenant de l’Université du Michigan (USA) et intitulé Relation historique de tout ce qui s’est passé à Marseille pendant la dernière peste (1) - figure l'ajout manuscrit « par Jean-Baptiste Bertrand ». - Dans ce contexte, il est surprenant que le seul « billette » (sauf-conduit en période d’épidémie), qui soit conservé de cette époque, ait été établi au nom d’un certain Jean-Baptiste Bertrand : il se rendait à Tarascon en août 1721, ce dont on trouve mention dans le livre très instructif de Paul Gaffarel et M. de Duranty, La Peste de 1720 à Marseille et en France d'après des documents inédits (2). La possibilité qu’il s’agisse du même homme n’est pas absurde. Selon les auteurs, ce « billette » a été établi par « Perrin de Lyon, secrétaire du bureau de la santé ». Cela veut-il dire que le voyageur est parti de la ville de Lyon ? ou bien le nom de l’émissaire comporte-t-il une particule (« Perrin de Lyon ») ? Malheureusement, Gaffarel et de Duranty n’accordent pas d’importance particulière à ce sauf-conduit. Or, la suite de leur étude très documentée montre qu’ils connaissaient bien évidemment le livre du « docteur Bertrand » : ils en mentionnent même deux, dont le premier – Observations faites sur la peste qui règne à présent à Marseille et dans la Provence avec un avertissement, publié dès 1721 à Lyon (3) – atteste la présence et l’exercice à Marseille d’un médecin de ce nom au moment de l’épidémie. Mais comme Gaffarel et de Duranty ne citent ni prénoms ni dates et lieux de première publication des ouvrages référencés, on finit par s'y perdre un peu. Et la question reste ouverte : si Jean-Baptiste Bertrand était bien médecin, quelles réserves ou craintes auraient pu le décider à cacher cette qualité et son rôle actif dans le combat contre l'épidémie ?

Dès juin 1720, la peste contamine progressivement la population phocéenne pour ne cesser ses ravages que début 1721 : on parle de 30.000 à 40.000 décès dans la cité de Marseille, qui comptait « 80.000 âmes » selon les échevins (les quatre consuls de la ville - Gaffarel, p.55) et quelque 120.000 habitants selon les estimations actuelles, qui devraient alors inclure les environs de la ville, où l’on enregistre une dizaine de milliers de décès supplémentaires ; au plus fort de l’épidémie (en août et septembre 1720), il arrivait que mille personnes par jour y succombent. Puis le mal, qui s’était propagé jusqu’à Aix, Toulon et la Lozère (Gévaudan), décimant environ un quart de la population provençale estimée à 400.000 personnes, ressurgit en 1722 et fait encore quelque 300 victimes, un nombre relativement peu élevé, qui s’explique certainement par l’immunisation des survivants.


mardi 1 décembre 2015

La terreur est humaine

En donnant un sens humaniste – ou idéaliste – au mot « humain », on serait tenté de croire que la terreur représente au contraire un « état d'exception », une forme d'« inhumanité ». Mais en considérant la marche pratique, effective de l'histoire, force est de constater que l'homme a fait régner la terreur sur terre depuis la nuit des temps : terreur des tribus et des cités guerrières, des régimes autoritaires depuis l'antiquité jusqu'à l'époque moderne et contemporaine, terreur des esclavagistes, ségrégationnistes, fondamentalistes, terreur des services secrets et des bandes mafieuses. Ainsi, après le terrorisme des indépendantistes et des anarchistes, qui avaient déjà contribué à l'extension des appareils sécuritaires dans les années 1970/80, la terreur exercée par Al-Qaïda et ses successeurs du groupe IS n'a rien d'exceptionnel. Même la tuerie en masse du 13 novembre 2015 a déjà été pratiquée : dans la même ville de Paris en 1982 ou sur l'île d'Utøya près d'Oslo en 2011. Sans parler des massacres sur les campus universitaires et dans les lycées qui ont connu des « succès » médiatiques importants.


Si l'utilisation des médias par les terroristes est considérée comme une nouveauté, cette innovation concerne en réalité pratiquement toutes les activités humaines avec l'avènement d'internet où – contrairement à la télévision – l'utilisateur peut intervenir directement, parfois devant un public nombreux, la plupart du temps à titre confidentiel ou encore au sein de réseaux secrets (« Internet sombre »). Comme les « ego-shooters » des campus, les groupes terroristes actuels utilisent cette ressource prodigieuse et terrible à la fois : ils savent que les vidéos qui expriment leurs motivations ou retracent leurs « prouesses » continueront de circuler indéfiniment dans les arrière-boutiques ou sur le devant de la scène virtuelle, augmentant la version digitale du « patrimoine » humain d'un musée des horreurs toujours plus vaste et spectaculaire.


Dans le cadre de la globalisation virtuelle, c'est en effet le spectaculaire qui importe. Thématisée dès les années 1960, la « Société du spectacle » (Guy Debord) a connu une sorte d'apogée avec les attentats du 11 septembre 2001. L'intervalle entre les impacts des deux avions était suffisamment long pour que les caméras des chaînes d'infos puissent se mettre en place et saisir la seconde explosion « en direct ». Ainsi, le monde entier a pu prendre part à ce « spectacle » terrifiant, aussi inédit que lourd de conséquences.